Totale confusion ! En Haïti, on ne parle jamais de « motel » tandis que l’on en voit à tous les coins de rue. Sur les pancartes, on peut lire hôtel and bar, Jésus-Christ est vivant Hôtel, le souci de la vie Hôtel. Pour certains les prix sont affichés et pour d’autres non. Quelle est la petite différence entre ces deux mots?
Motel selon le dictionnaire Le Robert signifie Hôtel situé au bord d’une route, destiné aux automobilistes. Hôtel pour sa part, d’après Larousse au sens premier, est un établissement commercial qui met à la disposition d’une clientèle itinérante des chambres meublées pour un prix journalier.
Dans le cadre de cet article, nous souhaitions attirer l’attention du public sur la mince différence existant entre ces deux mots appartenant au genre masculin.

La grande question : poukisa nou santi nou jennen souvan lè nou pral nan motèl ak patnè nou ? Les personnes interviewées qui sont pour la plupart dans la vingtaine ont toutes eu les mêmes réponses : la Honte. Parallèlement le sociologue et professeur à la Faculté des Sciences humaines de l’UEH Alain Jean a brillamment répondu à la question.

Fraise travaille à C3 Éditions, c’est avec grande joie qu’elle a accepté de répondre à nos questions qui sont, pour reprendre ses mots, très intimes. : « Santiman jèn yo vini depi lè m ap antre nan otèl la. Mwen konn ap mande tèt mwen kiyès k ap gade m. Menm devan moun k ap sèvi m nan mwen konn jennen. »
Selon celle qui se présente comme une jeune entrepreneure, le sexe est perçu comme une mauvaise chose et c’est de là que découle toute la gêne.
Plus loin, Fraise affirme, avec une certaine expérience, être parvenue à faire face au regard le plus souvent condamnable des gens et évoque de surcroit son manque de confiance en elle. Notamment à la genèse de sa vie d’adulte, elle s’interrogeait toujours sur son apparence physique. « Eske m ase seksi pou m dezabiye m devan mennaj mwen » était la phrase qui alimentait ses faiblesses.

Les témoignages au fur et à mesure divergent sur certains points. Pomme qui embrasse le féminisme révèle : « Pou eksperyans jennen nan espas otèl yo se plis lè se pa ak mennaj mwen. Sa fè m oblije ap veye pou si ta gen yon konesans an komen ki kwaze wout mwen. Men se pa vreman jèn mwen resanti. »

« Tout moun nan fè bagay. Mwen pa ka jennen pou yon bagay tout moun ap fè. » a indiqué pour sa part Negresse Colas féministe engagée et poétesse.

Certaines femmes qui ont pris part à ce travail estime que le problème est sociétal. Et Banane n’a pas mâché ses mots. Celle qui travaille au Ministère des affaires étrangères et des cultes a déclaré : « Fanm ka anvi men fòk li kache sa. Se sa ki fè se yo ki fè kapris. Menmsi li vle bagay la, li oblije ap fè kapris pou yo pa kole etikèt fanm fasil sou do l pandan gason an li menm, li rankontre yon fi premye fwa li gen dwa pou l eksprime dezi li. »

Melon qui est journaliste-reporter a apporté de nouveaux éléments dans l’affaire que nous jugeons suffisamment délicate. Il explique : « Nan otèl mwen konn frekante, gen youn ki gen 2 soti. Youn kote moun pa wè w, youn ki pase nan yon restoran. Demwazèl mwen konn mennen an konn di m pase nan restoran l ap pase nan lòt espas la. Konsa distans pou m rive deyò li gentan ap tann mwen bò DGI. »

Pour compléter le travail qui nous a permis de comprendre quelques aspects du sujet, nous avons visité deux motels (hôtels) ; l’un à Delmas 75, Catalpa et l’autre en plein cœur de la commune de Pétion-Ville.
Celui qui se présente comme le gérant des lieux parle de « maquillage » en vue d’attirer plus de clients. « Dabò pou sa te mache, nou te oblije fè yon chwa entelijan. Mete pisin ak restoran. Konsa moun nan pa gen yon chanm lap rantre dirèk men gen moun ki la pou enfòme l sou diferan sèvis yo. »
À la question du choix des employés l’homme au large sourire soutient : « Se fi nou plis genyen. Gen kèk gason men se pa pou kontak dirèk ak kliyan yo. Nou estime medam yo mwen jennen lè se fanm k ap sèvi yo. »

À Pétion-Ville, le soleil s’apprêtait à rentrer se coucher. Le deuxième motel abrite un « garage ». Du moins c’est ce que l’on voit à première vue. La caissière qui dit y travailler depuis près de cinq ans a fourni force détails. Elle dit avoir rencontré des amis (amis ici veut dire habitués de la maison). La femme qui a récemment fêté son 33e anniversaire affirme : « Dayè se yon garaj nou genyen kòm kouvèti. Ak volim kliyan nou genyen, nou kapab di tout moun ki renmen wont yo, se la yo vini. Yo vini nan 2è pou 1000 goud la. »
Ce second motel que nous avons eu le plaisir de visiter paraît aéré. Chaque chambre comporte une minuscule table rectangulaire (pour la majorité), un ventilateur et un téléviseur minutieusement rangé à l’intérieur d’un meuble en bois, difficile à décrire. Pour ce qui est des différents problèmes auxquels font face l’entreprise, sur la longue liste de la caissière qui habite la question de propreté, ce sont les clients. Ceux qui ne veulent pas quitter à l’heure convenue et ceux qui font de drôles de gémissements a-t-elle martelé
Du point de vue sociologique, le professeur Alain Jean dit croire qu’il faut d’abord comprendre que nous vivons dans une société où la sexualité est tabouisée. Le discours et la pratique sexuelle ne sont pas toujours recus et vus sans préjugés car le regard des autres ne va pas les laisser indifférent. « Il me semble le poids du regard des autres pèse encore plus lourd sur les femmes que sur les hommes ».
De surcroît selon le professeur, il n’est pas inutile de souligner que l’explication vient de la conception de sexualité qui domine notre imaginaire social. La sexualité a une double fonction du plaisir et de la procréation. Mais la fonction du plaisir n’est pas toujours reconnue et acceptée dans notre imaginaire. C’est là qu’il faut aller chercher la gêne qui accompagne souvent ceux et celles qui fréquentent les hôtels et qui risquent d’être considérés comme des gens amoraux. Et des gens qui ont peur d’être considérés comme tel vont certainement avoir un comportement approprié, ou se sentir blessés, gênés quand ils s’exposent au regard des autres….

En conclusion, suivant les différentes interviews que nous avons réalisées, plus de femmes disent se sentir gênées au moment d’accepter un rendez-vous (dans un motel, un hôtel). Si certains croient que les grands hôtels sont l’exception, la réponse est non. Ce n’est pas une question d’espace. C’est l’acte même qui pose problème. Pour répéter le sociologue Alain Jean, nous prendrons du temps à accepter que les gens ont Droit aux plaisirs, à la jouissance sexuelle. L’éducation en général, l’éducation sexuelle en particulier peut aider à changer les choses.

(Nous avons opté pour des fruits comme nom d’emprunt.)

Carlile Perrin

Carlile Perrin Magazine

www.carlileperrin.com

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