En Haïti, le désir de rester chez soi est clairement plus prononcé ces derniers temps, avec la crise sociopolitique  qui s’est installée dans le pays cette dernière décennie, cause principale de toutes ces violences. Les Haïtiens ont la peur au ventre, ils sont légion à ne pas vouloir quitter leurs maisons. Ils n’ont pas tort, les nouvelles sont de très mauvais goût. Ne pas vouloir sortir et être forcé de rester à la maison sont deux choses différentes. Dans le deuxième cas, c’est un vrai case-tête mais on finit toujours par accepter.

Le 12 septembre dernier, nous avons eu droit à un arrêt total, encore une fois, de toutes activités quelles qu’elles soient. Comme nous le savons probablement, le corps n’aime pas rester enfermé à la maison. À ce changement, cette période de « Pays lock », les discours se diffèrent. Nous vous invitons à découvir le quotidien de 16 personnes durant ladite période.

  • Damax François Jacques est auteure, elle raconte : « Mon mari et moi avons passé la première semaine lock chez mes parents, cela a prolongé notre lune de miel parce que c’est ma mère qui préparait le petit-déjeuner, le dîner, en fait ma mère fait tout quand on lui rend visite. Au réveil, on prend le petit-déjeuner, puis on attend que ma mère sorte, soit pour aller faire les courses, soit pour aller voir une amie, on fait l’amour, le temps qu’elle rentre on a déjà fait l’amour deux fois. Mes parents ne tiennent pas en place, donc on refait l’amour, on regarde un film si possible et on fait une sieste. Mon mari est toujours prêt à tirer, son pistolet est toujours pointé en ma direction, j’ignore combien de fois on fait l’amour. Parallèlement, nous nous concentrons sur le livre que nous devons publier à la fin de l’année, je fais un peu de lecture, mon mari écrit quelques textes qu’il publie sur sa page facebook ».
  • Donald Guillaume Sam est étudiant en Médecine à l’UNDH, il raconte : « Tout en étant “lòk” c’est nécessaire de continuer à apprendre et à découvrir de nouvelles choses. Je lis beaucoup comme d’habitude et regarde des séries et films. J’en profite également pour m’amuser avec la famille et les amis du quartier. On discute politique et société assez souvent ».
  • Pour Sheila Louis Joseph qui est journaliste, cela a été assez compliqué : « Je suis restée bloquée à Radio Métropole durant 4 jours. Étant donné que je suis journaliste/reporter, je devais suivre l’évolution de la situation dans les rues, coordonner des éditions spéciales d’informations, rédiger des reportages et trouver de quoi manger pour les journalistes et les employés qui étaient bloqués aussi ».
  • C-Jay est chanteur, producteur et danseur et durant le pays lock : « J’ai beaucoup dormi. Cela me manquait tellement. Mon appétit a augmenté, j’ai enfin réussi à faire un peu de lecture. »
  • Seraphina Sapphire Moïse, présentatrice de l’émission « Viv Ayiti », nous explique :  « En fait, 3 semaines avant le pays lock, j’avais planifié quelque chose pour le week-end et une fois arrivée le mercredi 14, les choses ont commencé à se dégrader dans la capitale. J’ai dû aussitôt prendre une décision :  y aller ou reporter ?  Et là, le « advienne que pourra est monté sur mes lèvres même si c’était avec un peu d’hésitation, j’ai suivi le plan. Je me suis déplacée prudemment malgré les barricades et vous savez quoi ?  j’ai non seulement passé le week-end que j’avais prévu mais aussi j’ai pu faire la moitié de ma lecture du mois ».
  • Clauvell Junior Louis Jean, auteur de plusieurs livres, raconte : « Normalement, je ne fais pas grand-chose. J’ai commencé à lire mais je ne sais pas si c’est à cause du stress, je ne suis pas vraiment porté vers la lecture. Cependant, je fais beaucoup de ménage pour faire passer le temps ».
  • Sindy Ducrépin, journaliste/ présentatrice à temps plein à Ticket, Le Nouvelliste et Magik9 a connu une situation un peu compliquée : « Ben j’ai pu, malgré le poids de la situation sur ma santé mentale, quand même travailler à distance. J’ai produit des articles pour Ticket. J’ai finalement lu un des livres que je souhaitais tant lire dans ma PAL. Il s’agit de « La Servante écarlate » de Margaret Atwood. J’ai pu me faire à manger beaucoup plus souvent, écouter de la musique, dormir et broyer du noir ( aussi) ».
  • Etzer-Louis Charles  est  Digital Marketer et CEO Specian Digital, son histoire n’est pas différente à celle des autres  : « Les locks se suivent mais mes activités durant un lock se ressemblent dans la majorité des cas. Avec cette nième saison, où l’absence de carburant a fait paralyser l’accès à internet et à l’électricité c’était vraiment difficile pour moi au début car 85% de mes activités sont en ligne. À part ça, comme pour les autres lock, je clavarde beaucoup avec les amis, je lis, je regarde des films et des séries et continue à travailler sur mes activités ».
  • Géraldine Alçenat PÉPÉ est très impliquée dans le social, elle raconte : « Ce lock m’a surprise car mon équipe et moi prévoyons une finale de concours d’éloquence. Comme je suis toujours active, et que je ne retourne jamais à mes vieux bouquins, il fallait que je profite de ce lock pour passer un moment d’amour avec eux. J’ai relu des livres que j’avais lus il y a cinq ans, et il y a un auteur qui allait m’apprendre que la lecture est libérale parce qu’on a le droit de choisir le titre qu’on veut et de relire n’importe quel livre quand on veut ».
  • Clarens Loctama est auteur d’un recueil de poèmes, il dit : « Cette période chaotique qu’a connu notre pays m’a poussé à réfléchir davantage. J’ai ressenti un profond dégoût… Combien d’entre nous ont vu des projets partir en fumée à cause de cela ? Ça m’a véritablement choqué car j’ai aussi été victime de cette protestation malsaine. Pour extérioriser, j’ai donc écrit… En voici la preuve : …. Plus d’envie.

Plus de foi.

Que de folie…

Pas d’autre choix

Qu’un bonheur endolori.

Quelle croix…

  • Négresse Colas est poétesse, elle a relu Jacques Stephen Alexis : « J’essaie d’y survivre. De toute façon, on n’a jamais fait que ça. Déjà, tu n’es pas averti. L’unique option c’est de fonctionner avec les moyens du bord. Quoi de mieux pour te renvoyer à la face toutes tes insécurités ? Je passe la plupart de mon temps à évacuer une horde d’émotions. Ennui, colère, déception et compagnie. Pour cela, je consacre plus de temps à mes travaux d’écriture et de recherche. Je discute. Je fais de la lecture. À propos, j’ai commis l’erreur de me remettre sur la lecture de Compère Général soleil. Ça ne m’a pas aidée avec ma grande colère. Mêmes injustices. D’autres bourreaux. Enfin, pour raccourcir ces nuits où le sommeil se fait rare, je mate des séries ». 
  •  Marx Stanley Léveillé est journaliste et vient de remporter  le prix « Jeune journaliste en Haïti » pour la catégorie audiovisuelle décerné par l’OIF : « J’ai écouté les nouvelles, la musique; j’ai essayé de feuilleter quelques pages. Mais surtout, je me familiarise un peu plus avec les gens de mon quartier, puisque la situation nous offre la possibilité de passer du temps ensemble. »
  • Stéphanie Rigaud nous expose ses moments difficiles : « Entre le télé travail et l’incertitude, je me sentais prisonnière. Entre Les bruits assourdissant des coups de feu, les barricades enflammées et les quotidiennes questions aux plus braves qui ont pu faire quelques mètres hors de la maison, aucune inspiration, je travaillais par obligation ».
  • Pascal Apollon est mastérant en psychanalyse ( Montpellier 3) et n’est pas de Port-au-Prince, il dit : « C’est assez inhabituel de parler de comment je vis ces périodes de lock. Généralement, Je reste enfermé et j’écris des poèmes, mais pour cette fois, je travaille mes cours de psychanalyse (Maîtrise à distance, Montpellier). J’en profite pour prendre de l’avance. Voilà ! »
  • Eberline Nicolas est journaliste et fondatrice de Bouquets d’Espoir, elle raconte : « Durant ces derniers jours, j’essaie de prendre soin de ma santé physique et mentale. Je me suis remise au sport (cardio), je me prépare à manger et je réfléchis surtout à mon avenir. C’est pour ça que j’essaie de relâcher cette pression en faisant un peu de méditation ».
  • Marc Exavier est poète, l’un des meilleurs, ce qu’il a fait ou ce qu’il fait ne va étonner personne : « Je lis, je lis, je lis ».

Nous avons travaillé sur cette série de témoignages dans le but unique de motiver ceux qui se plaignent de n’avoir rien fait. Chacun d’entre nous vit la crise sociopolitique d’une façon différente. Parfois, on se demande si ça vaut le coup de continuer. Vous qui pensez avoir été moins productifs, ce n’est pas un problème, le moment n’est pas propice. Avec une foule de réflexions, généralement, c’est toujours assez compliqué de joindre les deux bouts.

Carlile Perrin
Carlile Perrin Magazine
www.carlileperrin.com

Give a Comment